qualifiée pour la finale et donc toute proche d’aller chercher un deuxième sacre mondial, on retrouve en large minorité dans la partie la plus resserrée de la pyramide la catégorie du supporter. Quand on parle de supporter, on a en tête une personne qui a vraiment le football dans ses gênes, quelqu’un qui en est passionné et qui entretient des liens multiples avec les Bleus. Sa passion décuplée des dernières semaines, il la doit à son approche du jeu. Pour lui, les joueurs sont plus que des joueurs, ce sont les protagonistes de sa série préférée, des personnages qu’il suit depuis toujours en club, qu’il voit grandir, progresser, performer et décrocher au mérite leur place chez les Bleus. Il a une attache et une approche tactique et souhaite par-dessus tout la victoire du jeu. Parce qu’au fil du temps, ce n’est pas de l’équipe de France qu’il souhaite la victoire mais bel et bien des joueurs qui la composent. Et compétiteur qu’il est, comme les footballeurs tricolores, il n’a fait surgir sa joie que cinq minutes passé le coup de sifflet final de France-Belgique avant de se tourner – déjà – vers la finale. Pour lui, il n’y a que le titre qui vaille et l’idée de voir Griezmann and co, ses héros quotidiens, entrer dans la légende. Et puis il y a les autres, ces millions d’autres…
Mais alors, qu’en est-il de toute cette joie pendant une Coupe du monde ? A une époque pas si lointaine, alors que la Seconde guerre mondiale vivait ses derniers mois, une grande partie du territoire français fut libérée (en août et en septembre 1944). A l’image de l’immense foule qui acclama le général de Gaulle à Paris le 26 août 1944, les explosions de bonheur qui escortèrent la liberté exprimèrent le sentiment d’une unité tout à coup reconstituée autour de la Résistance et de la France libre. Dans un méli-mélo de fêtes et de deuil, la France renoua alors avec les grandes manifestations de communion nationale. A cette époque, l’on pouvait sans détour encore utiliser le terme patriotisme sans avoir le moindre doute au coin de notre esprit sur la valeur de ce mot. On y reviendra plus tard. Le plaisir de voir sa patrie retrouver des couleurs et survivre à cette Europe qu’on pensait vouée à plonger définitivement dans le nazisme déclencha ainsi des vagues de rassemblements spontanées et improvisées. Si l’on se risque à dresser pareil parallèle entre la libération de 1944 et la Coupe du monde, c’est tout simplement parce qu’une telle analogie a déjà été faite il y a vingt ans. Et ce n’est pas un hasard si les scènes de joie qui ont éclaté sur les Champs-Elysées il y a vingt ans après France-Brésil n’avaient plus été vues depuis le retour triomphal du général de Gaulle.
Après tout, c’était quoi le sentiment des Français lors de la libération ? Si l’on en croit les divers témoignages, outre l’évidente éviction de l’occupant allemand, ce qui prédominait dans le cœur des gens, c’est bel et bien la sensation de renaissance et la fierté de voir son pays subsister malgré les remous de la guerre. Dans la psyché humaine des temps modernes, le sentiment d’appartenance à un pays est prépondérant pour le développement personnel. Inconsciemment, on s’identifie à sa nation, l’on est membre d’elle à part entière. Lorsqu’elle est en bonne santé, notre assemblage psychologique nous élève. Lorsqu’elle est attaquée comme ce put être le cas encore très récemment avec les attentats, on en ressent la douleur, la crainte, la vulnérabilité. Tout est question au final d’identification. Votre identification à la France, marquée dans vos habitudes et votre éducation, est certainement plus tenace qu’il n’y paraît au premier abord.
» a ainsi un jour déclaré Henry Adefope, ministre des Affaires étrangères du Nigéria.
Ça semble simple, ça paraît même peut-être absurde mais il ressort de tout cela que lorsque votre joie vous submerge au moment où Samuel Umtiti ouvre le score contre la Belgique, vous vous sentez plus fort par un déroutant effet domino dans votre for intérieur. La liesse est d’autant plus forte lors d’une Coupe du monde de football que celle-ci est l’événement sportif majeur, celui que la terre entière regarde. Lorsque la France (ou l’Allemagne ou n’importe quelle autre nation du monde) remporte un match important ou un titre, elle le fait sous le regard de la planète entière et s’offre une démonstration de force jubilatoire. Cela fait aussi partie de la psychologie humaine que d’éprouver une forme de plaisir devant une sensation - même très éparse - de supériorité. Et ce quand bien même vous seriez quelqu’un de tout à fait modeste et humble.
». Patriotisme et nationalisme ont bien souvent été confondus au cours des dernières décennies, peut-être à cause de certaines guéguerres politiques, au détriment même de l’attachement qu’ont la majorité des Français envers leur nation et les valeurs qu’elle représente. Dans ce pays après tout, on râle plus facilement pour ce que l’on n’a pas que l’on ne déclame notre amour pour ce que l’on a. Pourquoi ? Les raisons sont certainement multiples et les lister nous ferait vriller en hors-sujet. Il semblerait toutefois que le football ait cette faculté libératrice d’aller chercher en nous la timidité que l’on éprouve d’ordinaire à l'heure de déclamer haut et fort que l’on aime notre pays. Cachée derrière de mystérieuses barrières mentales se terre en nous notre volonté de nous sentir plus grands, de nous sentir unis sous une même bannière et de crier au monde entier notre amour de la France et de ses valeurs sans retenue et sans pudeur. Vous avez vu, rien n’a vraiment changé au fil du temps : la victoire, quelle que soit sa nature, demeure un incroyable vecteur de liberté.